La guerre civile a chassé Rézo Gabriadze de son théâtre de
marionnettes de Tbilissi, en Géorgie. Après une halte à Moscou, il a provisoirement installé ses pénates à Saint-Pétersbourg, où il a répété son spectacle, Chant pour la Volga, que les spectateurs de Dijon ont le privilège de découvrir. Ces péripéties n'entament pas la bonne humeur de Gabriadze.
Il a pour habitude de laisser dans chaque ville où il travaille un «monument» qui ne risque pas d'encombrer ses hôtes: il est en général à l'échelle des figurines de porcelaine qui peuplent son univers. Aux Dijonnais, il a déjà promis un «monument au vin de Bourgogne», que ce fin gosier a la courtoisie de préférer aux nectars de sa Géorgie natale.
Si Gabriadze voyage bien  il a également passé six mois à Rennes il y a deux ans Â, c'est qu'il emmène son Caucase partout avec lui. Un Caucase universel, un creuset du monde où les plus grands écrivains vivent les plus étranges aventures. A Dijon, outre le spectacle, une exposition des figurines de Gabriadze rend compte de ces métamorphoses. Goethe s'y retrouve déguisé en derviche et Pouchkine, si l'on en croit les légendes qui accompagnent ses sculptures miniatures, est pour Gabriadze une vraie tête de Turc: «Au Caucase, on prenait souvent Pouchkine pour un pope allemand et lui, il leur disait: Je ne vous le pardonnerai jamais!» Il faut dire qu'à Tifliss Âl'ancien nom de Tbilissi  Pouchkine en fait de belles: «Transformé en papillon et armé jusqu'aux dents, il tua par hasard Griboùeolov et voulut faucher la femme du comte Vorontsov.»
Bref, sous les doigts et la plume de Gabriadze, Pouchkine devient chèvre. La Nationalisation de la chèvre, c'est le titre d'un tableau, également exposé à Dijon, qui fait pendant à un autre, la Nationalisation du tapis. Des peintures gaies et vigoureuses, comme l'ensemble de l'oeuvre picturale de Gabriadze, qui rappelle par plus d'un trait celle de Chagall.
Sculpteur, peintre, écrivain: c'est sur scène que convergent tous les talents de Gabriadze. Une scène d'un mètre cinquante sur soixante centimètres, recouverte d'un sable qu'un projecteur blanc peut transformer en neige. Et sur laquelle Gabriadze fait surgir des créatures ancrées dans les légendes de son enfance, incongrues poupées de porcelaine, de papier mâché et de chiffon que manipulent à vue des acteurs à l'infinie délicatesse. Un homme surgit du sable avant d'y enterrer son bras perdu à la guerre. Un autre dialogue avec un cheval et lui offre un morceau de lard, ce qui fait bien rire la bête. Héros de la pièce, Rossinante sans chevalier, ce cheval qui meurt et ressuscite à Stalingrad est amoureux d'une jument de cirque, équilibriste à Kiev.
Le rabbin marie à un autre une jeune fille dont le fiancé est au front, une fourmi traverse lentement le champ de bataille et des anges aux ailes mitées descendent sur terre. Ces scènes courtes sont sonorisées avec des voix off pour lesquelles Gabriadze a fait appel à une trentaine d'acteurs russes parmi les plus connus.
La Bataille de Stalingrad, c'est le sous-titre donné par Gabriadze à son Chant pour la Volga, qui ne parle que de guerre et de dévastation, et fait rire aux larmes. On songe à Kantor, un Kantor pas sérieux qui, au-delà de la nostalgie, aurait choisi de rester pour toujours en enfance.
(Quelle: http://www.liberation.fr/culture/1996/04/26/theatre-le-caucasien-gabriadze-exile-a-dijon-y-presente-son-chant-pour-la-volga-ou-ses-marionnettes-_167770)
egd
Victor Platonov, Svetlana Pavlova, Elena Kondalkova, Anna Victorova, Vladislav Lobanov, Olga Slovokhotova